Isabelle Vidailhan
Je pars d’une envie, parfois impulsive, pas nécessairement une idée, de faire de la peinture. Une envie liée à un état, à un moment donné ; une envie de toucher, de préparer le matériel en imaginant par anticipation le plaisir que je vais ressentir à faire. D’autre fois, l’envie s’apparente au besoin d’exprimer et de décharger émotionnellement des pensées blessantes ou obsédantes. D’autre fois encore, j’ai juste envie de mettre en image l’écho du monde.
La préparation a le goût du rituel qui apaise cet état et prédispose au plaisir futur. Un plaisir sensitif, comme un retour dans son cocon, comme on se voit déjà dans l’eau quand on est encore assailli de chaleur. Mais ce plaisir va bientôt se rompre à la difficulté de lire ce que je fais. Alors je lutte contre cette forme d’injonction à devoir trouver une explication. Je continue en chassant cette idée, presque mécaniquement, en tentant d’endormir mon mental. Je fais, je manipule, j’expérimente. Cela me rappelle une phrase de Louis Aragon qui m’avait été rapportée par une formatrice. Elle me demandait d’écrire sur ma façon de travailler. Je pensais contourner le vide de la page blanche en ayant élaboré un plan précis. Mais au moment d’écrire, ça ne sortait pas. Elle me dit alors « on pense à partir de que l’on écrit et pas le contraire ».
Oui, je crois que c’est ainsi que je peins, de plus en plus. En luttant contre cet instinct humain de devoir trouver une signification, exempté de tout devoir de définition. Je peux ainsi explorer et laisser ouverte toutes les possibilités de dire ce qui doit être dit. C’est une forme de confiance que je m’accorde sur l’avenir, avec le devenir de mes recherches. J’utilise les accidents techniques, je les provoque même. En laissant mes gestes s’exprimer, libérés de toute maîtrise idéique, j’ai un accès plus direct à ce que j’exprime. D’un côté il y a une forme de jubilation à dire sans se l’expliquer, à nager dans cette profusion d’inconnues tout en sachant que cela veut dire quelque chose, forcément. D’un autre côté, je sens bien qu’il y a tension derrière l’envie de faire, qu’il s’agit aussi ou surtout, d’un besoin. Je retrouve partout cette ambivalence entre le plaisir de l’inconnu et le besoin de comprendre quelque chose de mes rencontres avec cet inconnu. Cela ressemble au jeu de cache-cache. Je sais qu’en même temps que je lâche prise, je cherche en moi. Et je n’ai besoin que de cette conscience-là, pour continuer.
À ce stade une idée ou un élément peut surgir, que je vais exploiter.
En pratique, je vais m’accrocher à ce qui représente un intérêt, un truc que je n’ai pas encore fait ou au contraire, qui me revient de travaux passés, qui dit quelque chose donc, qui a sa place. Et, je le décline, je l’agrémente, je le précise, je l’associe à d’autres éléments apparus de la même façon. Le besoin de faire devient celui d’approfondir. Des choix s’imposent parce qu’une forme de cohérence visuelle m’apparaît. Je vais la développer et de ce chaos disparate, je cherche à rassembler, à unifier. Il y a un moment où je réalise une image plus précise, synthétique, comme une résolution : l’abstrait se préfigure en donnant forme à quelque chose de reconnaissable. Mais très vite, la chose résolue ne me suffit plus. J’en rapproche certains éléments du matériel de mes recherches antérieures. Une direction particulière ou une idée générale se révèle. Quant à la signification de tout cela, je suis sûre au moins qu’elle parle de ma vision du monde et de moi-même.
Lorsque je peins par besoin d’exprimer un état, les éléments du décor sont significatifs. Le spectateur peut décrire la scène. On y verra parfois des éléments présents dans d’autres séries, qui font redondance, rappel ou transition. C’est l’histoire dans l’histoire.
Lorsque je peins l’écho du monde, la première version picturale contient un élément assez reconnaissable : une forme, un gabarit, une technique, une couleur… Il sera le vecteur, l’unité, la constante dans la suite de l’histoire. D’origine extérieure, les choses se racontent indépendamment de ma volonté, au fils des évènements. Aussi, le chemin entre l’exploration et la résolution serait bien court, si je ne décidais pas d’en faire autre chose pour y trouver mon compte : pour supporter et dépasser cette réalité. Certains parleront de sublimation. Le besoin de faire quelque chose pour éprouver cette réalité vécue est bien l’objet de ce besoin de peindre. Le plaisir se trouve toujours dans la manipulation des outils et de la matière.
Je suis admirative d’une illustration dans un livre-disque, « La petite sirène », qui représente le profil de l’héroïne. Je dois avoir neuf ou dix ans et je vais m’exercer à le reproduire, au calque, puis à main levée, lui et d’autres. Je commence à en inventer, d’abord de profil puis de face.
Au collège, je suis complimentée par le professeur de dessin sur la reproduction d’une page d’hebdomadaire féminin. Je découvre le plaisir de réussir un travail technique et d’être reconnu pour cela. Cela m’encourage à m’exercer. Les marges de mes cours se couvrent de figures à l’encre bleue. Le choix de m’orienter vers un bac A3 lettres et arts plastiques est évident.
1988-1991, avant le grand plongeon !
Au lycée, je développe des tracés cinétiques à la Vasarely ou autres circonvolutions à côté de mes figures humaines, sur mes cahiers. Je découvre le travail de la matière et de la couleur, le format raisin aussi. L’histoire de l’art m’ouvre les yeux sur l’immensité des formes d’expressions plastiques possibles. Je commence à avoir des préférences et influences : le post-impressionnisme, les Fauves, l’expressionnisme ; avec un coup de cœur pour Gauguin et son « Christ jaune », une plage rose, pour Munch avec son « Cri ».
En septembre 1991, j’entre à l’ESAA Duperré (Paris 3ème), après un concours m’ayant fait entrevoir l’univers où j’allais peut-être évoluer. Les étudiants que je croise dégagent une liberté d’allure, de style et une aisance relationnelle qui font envie. Ils portent d’immenses cartons de dessin. Au café d’en face, ils vont farder les cartes postales de leurs encres, pastels et autres matériaux qui me sont encore inconnus. Je sais que suis bien au bon endroit !
Juin 1992, au terme d’une année de préparation, une nouvelle sélection me permet d’envisager un BTS Art textile et impression pour la rentrée. J’hésitais avec celui de plasticien, car aimant travailler sur grand format. Après avoir beaucoup dessiné, je préfère désormais peindre, mixer les techniques, créer de la matière et expérimenter. Je suis davantage dans l’abstraction, même s’il demeure des éléments figuratifs, des motifs. J’aime aussi rebondir sur les travaux de certains peintres : Fernand Léger par exemple, Gauguin toujours, sa palette et ses cernés, Alechinsky aussi, ses cadres intégrés à l’œuvre. Le design textile me permet d’associer les deux dans une forme de complémentarité duelle.
1993, je fais un stage au bureau d’étude de la maison Nelli Rodi et j’obtiens mon BTS l’année qui suit.
Vie active ou, le grand bain…
Automne 94, je tente le concours Françoise Saget avec un projet collectif sur l’esprit guinguette. Puis, je remplace un agent de lancement dans l’entreprise Linda Jo, sous-traitant de la maison Sonia Rykiel jusqu’au printemps 1995.
L’industrie textile se délocalise et les places en bureau d’étude se raréfient. En même temps, je n’entrevois pas assez de liberté créative sur ce type de poste. Il me manquerait le plaisir de toucher la matière, le côté « plasticien » qui m’avait fait hésiter en fin de prépa Duperré.
De 1996 à 2002, j’accumule les expériences dans le secteur tertiaire et je continue de peindre à titre personnel. J’ai beaucoup testé la matière et les couleurs et je veux approfondir le figuratif. Je tente des reproductions de Gauguin, des percées dans le ciel, le portrait à l’encre noir, des natures mortes en collages, en pochoirs, des paysages étranges ou inversés : poissons volants, oiseaux volants, etc.
Le temps me manque, aussi la peine de devoir le sacrifier aux obligations alimentaires. Il me pèse de ne pas travailler dans l’artistique et rien de plus palpitant ne se profile : pas de travail-passion à l’horizon.
Un virage, une escapade, sept déménagements…l’aventure !
Octobre 2002, je pars dans le Lot-et-Garonne pour suivre une formation de Peintre en décor. Il s’agit du cours supérieur Nadaï-Verdon à Penne d’Agenais.
J’y trouve à la fois le travail de la matière, du tracé : de l’abstraction dans les marbres feints, du dessin dans les bois, du réalisme dans le trompe-l’œil et de l’espace avec les panoramiques. J’y rencontre mon compagnon qui suit le même cours. Nous vendons notre première toile au bar restaurant du village.
Mai 2003, ayant tous deux obtenu le titre de Peintre en décors, nous nous inscrivons à La Maison des artistes et nous installons à La roche Chalais en Dordogne. Nous réalisons des décors muraux intérieurs/extérieurs, pour les particuliers et les commerçants, des vitrines de Noël, des décorations d’objets et quelques toiles originales. Il s’agit de propositions réalistes. Nous exposons certains décors et toiles sur les marchés, au salon des antiquaires de Chalais, au salon des arts de la table de Barbezieux entre autres.
Vers 2007, nous commençons à proposer des animations auprès d’enfants et d’adultes dans le Sud-Charentes : Les Gaminades de Montmoreau, foire expo de Barbezieux, association Maisons paysannes de Charentes etc.
Un projet de décor abstrait autour d’une cheminée me fait retrouver le plaisir de ne pas être tenu par un devoir de réalisme. J’ai besoin de « ce retour à une forme d’expression libre ». J’y travaillerais seule en atelier.
En parallèle, je fréquente un atelier associatif animé par Robert Kéramsi à St Seurin /Isles. J’y travaille le modelage de l’argile, de la cire et la sculpture au ciment prompt. Trois œuvres collectives dont un couple de danseurs de flamenco à l’échelle 1,5 verront le jour qui sera exposé.
En 2010, j’interviens à l’école de Condéon dans le cadre d’un contrat aidé. J’étaye et accompagne les enfants lors des activités manuelles, notamment en petite section de maternelle. J’y réalise des décors muraux autour du thème de l’année : le moyen-âge entre autres.
Cette expérience me permet d’éprouver ma capacité à éveiller et transmettre mes savoirs en matière d’arts plastiques, notamment auprès d’une enfant présentant un retard mental. Elle me convint de me former dans le domaine de l’accompagnement des publics en situation de handicap.
Nouveau virage, et la peinture toujours
2011, j’entre à l’IRTS Aquitaine pour trois ans où j’élabore un projet pédagogique autour des techniques picturales. Le diplôme d’état d’éducateur technique spécialisé en poche, je signe mon premier CDI ; ce qui va me permettre de développer ce projet avec d’autres médiations comme l’argile, la linogravure et la mosaïque avec.
À côté de cela, je poursuis mon travail personnel en atelier où se succèdent tour à tour des travaux d’expression, d’interprétation, de portraits et du modelage.
Le confinement du printemps 2021 m’offre du temps pour développer mon travail en séries et réfléchir à envisager une exposition. En même temps, je tenterais bien la sculpture sur pierre.
Juillet 2022, je rencontre Didier Salvan, artiste sculpteur, qui fait visiter Le Moulin de la Pierre à Vilhonneur et y anime un atelier hebdomadaire proposé par l’association « Pierre et savoir-faire ».
En septembre, je m’initie à la sculpture en taille directe sur pierre dure et réalise ma première œuvre du genre : Marianne.